Dans « Alors nous irons trouver la beauté ailleurs », Corinne Morel Darleux tisse une ode à l’émerveillement, à la poésie, à la joie, à l’empathie. Et affirme qu’ils nourrissent et soutiennent les nécessaires luttes pour un monde vivable.
Autrice à « tendance romantique révolutionnaire » (comme elle se présente elle-même), Corinne Morel Darleux m’inspire, tant par ses écrits (essais et romans) que par son parcours. Après s’être longtemps investie en politique, elle a choisi de rejoindre la bataille culturelle, via l’écriture. J’avais déjà publié ici quelques citations de son ouvrage Plutôt couler en beauté que flotter sans grâce.
Dans son dernier livre, elle poursuit sa réflexion riche de ramifications, sur le pouvoir de l’écriture, sur la nécessité du ralentissement et de la décroissance, sur l’exploration des « confins » ou « ailleurs », où se réfugier pour nourrir ses forces. Ou encore sur les formes multiples que peuvent prendre l’engagement et le passage à l’action.
Pour découvrir cette autrice et sa vision, je te conseille aussi ce long entretien accordé au magazine Reporterre.
Morceaux choisis de « Alors nous irons trouver la beauté ailleurs »
« Si les fictions, celles qu’on s’invente, celles que nous souffle notre inconscient comme celles qu’on lit, ont un rôle majeur à jouer dans la fabrique de notre rapport au monde, alors voilà qui plaide pour redoubler d’ardeur quand il s’agit de nourrir soigneusement nos imaginaires. (…) C’est la raison pour laquelle la bataille culturelle passe aussi par la création de nouvelles utopies, ni niaises ni naïves, qui puissent donner d’autres matières à rêver qu’un monde dévasté et peuplé de soldats augmentés. » (p30-31)
« Nous avons besoin d’autres cadres de pensée dans lesquels évoluer. Nous avons besoin d’ailleurs culturels pour sortir de l’ornière et nous dérouter. Les voyages peuvent être un moyen de se décentrer (…) On peut aussi plus simplement mettre les mains dans la terre, arpenter la montagne ou se perdre en forêt : cela produit des effets sensibles sur notre rapport au monde, beaucoup plus qu’on ne l’imagine. (…) Les romans permettent de voyager, de vibrer, de vivre et de rêver par substitution et d’expérimenter ainsi des situations, actions et émotions que l’on ne pourrait jamais vivre en vrai. (…) L’écriture, comme les songes, permet cet accès à l’inconscient. » (p32-33)
« Le livre est un refuge, un puits intarissable de lignes de fuite et d’imaginaires. Quand le monde devient trop dur, ouvrir un roman c’est échapper au temps, au lieu, aux petits tracas et grands malheurs du présent. C’est l’arme ultime contre la solitude. Dans ces quelques grammes de papier, il y a toujours un personnage pour vous accompagner et distraire vos pensées. Avec un livre, on n’est jamais seul (…) La littérature n’a donc rien d’accessoire. » (p50-51)
« Cela peut paraître paradoxal mais je crois sincèrement qu’à mesure que l’urgence et la gravité climatique, environnementale, sociale et démocratique prennent de l’ampleur, il n’y a plus rien de dérisoire. Tout acte semble vain au regard des enjeux et, pourtant, plus ceux-ci grandissent, plus chaque geste importe. Chaque minute d’attention, chaque sourire, chaque geste de solidarité, chaque hectare, chaque insecte, chaque arbre, chaque miette, chaque sabotage, chaque dixième de degré. Pour la dignité du présent, mais aussi parce que l’infime reprend de la puissance quand tout dévisse si massivement. » (p53)
« Vivre dans un monde en train de disparaître sans savoir ce qui va émerger n’est pas simple, mais il ne tient qu’à nous de nous ouvrir à d’autres géographies, d’autres cultures, à toucher aux confins civilisationnels pour “imaginer des façons plus florissantes, plus robustes, moins meurtrières de vivre les uns avec les autres”, ailleurs, quand notre propre réalité nous fait défaut. » (p105)
« Le changement climatique, l’extinction de la biodiversité, la dégradation de la qualité de l’air, le dévissage des conditions de vie ne se sont jamais produits à un rythme aussi rapide qu’aujourd’hui. (…) Entraver le désastre en cours, actionner les freins d’urgence : ce sera là notre révolution. (…) Ce frein d’urgence peut assurément prendre plusieurs formes. (…) Je pensais, il y a quinze ans, qu’il serait plus rapide et plus efficace de prendre la place du gouvernement que d’infléchir sa politique. La stratégie pour cela était de mobiliser à la fois la rue et les urnes : le mouvement social, les luttes environnementales et le suffrage universel. (…) Après tant de manifestations, de débats publics, d’indignation et d’interpellations sur tous les fronts, j’ai désormais l’intuition que les actions de nature revendicative atteignent leurs limites. » (p140 à 143)
« S’il faut bien sûr continuer à sensibiliser et argumenter, ne serait-ce que pour former l’esprit critique des jeunes, tout miser sur le fait que petit à petit une masse critique sera convaincue de changer de braquet me semble illusoire et, dans ce contexte, parier sur un succès électoral me semble pour le moins risqué. (…) Ce dont nous avons besoin est un changement de perspective qui puisse mettre chacune et chacun en mouvement sans attendre les consignes ni que les conditions soient réunies. » (p150-151)
« Nous avons tout à gagner à commencer dès à présent à choisir nos dépendances, à conserver la possibilité de cultiver pour se nourrir, à auto-organiser la solidarité et in fine à se redonner un avenir. (…) Cette voie du performatif et du préfiguratif, de la décroissance, de l’autonomie politique et matérielle, de la subsistance et de l’auto-organisation réduit notre dépendance au système et tisse de précieux espaces de solidarité. (…) C’est là que se reprend, aussi, la puissance d’agir. » (p155)
« Dans ce contexte, plus que jamais, nous aurons besoin de confins où s’échapper et d’ailleurs où aller trouver la beauté. » (p156)
Merci pour ce partage ! Cela me donne très envie de lire ce texte !
Merci Mathilde pour ton message : oui c’est une belle lecture, très inspirante et porteuse d’espoir !