L’essai de la journaliste Mona Chollet explore l’histoire des chasses aux sorcières et montre à quel point cette « guerre contre les femmes », tout particulièrement les femmes indépendantes et savantes, les femmes sans enfant et les femmes âgées, a contribué à façonner le monde tel qu’on le connaît aujourd’hui: patriarcal et destructeur de la planète.
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Les sorcières sont furieusement tendance ces derniers temps, cela ne vous a sans doute pas échappé. Elles parcourent les manifestations féministes, formant parfois un « witch bloc », se réunissent lors de cercles de femmes et de retraites spirituelles pour partir à la reconquête du « féminin sacré », pratiquent la divination, se mettent à l’écoute de leur intuition, se reconnectent à leur cycle et à celui de la lune, ont leurs comptes instagram, leurs boutiques et leurs newsletters dédiés pour apprendre de nouveaux rituels…
Observant au départ ce phénomène d’un oeil distant, voire un peu sceptique, je me suis finalement laissée séduire par le mouvement. Pas jusqu’à apprendre à tirer les cartes ou investir dans des cristaux ou des bâton de purification à la sauge (cela viendra peut-être qui sait?), mais à admirer la sororité qui se manifeste parmi les femmes qui partent à la (re)découverte de leur part naturelle voire surnaturelle.
C’est donc dès sa sortie, à l’automne dernier, que j’ai eu envie de lire l’essai de Mona Chollet « Sorcières, la puissance invaincue des femmes« . Ayant la mauvaise habitude de lire plusieurs ouvrages en même temps et de passer beaucoup trop de temps sur les écrans, je ne l’ai terminé que récemment. Mais pour moi ce livre est clairement un must-have dans la bibliothèque des femmes qui s’intéressent à la fois aux combats féministes et écologistes.
Les chasses aux sorcières, une guerre contre toutes les femmes
En effet, Mona Chollet décortique un épisode finalement assez mal connu (par moi en tout cas!) de l’Histoire: les chasses aux sorcières, qui ont fait entre 50 000 et 100 000 victimes en Europe. Contrairement aux idées reçues, elles se sont déroulées non au Moyen-Âge mais à la Renaissance (du XVème au XVIIème siècle). Et n’ont pas été perpétrées par quelques obscurantistes mais bien par les élites cultivées et éclairées de l’époque: la sorcière, rappelle l’autrice, est une « victime des Modernes et non des Anciens ».
Si des hommes ont fait partie des victimes, les femmes en représentent la majorité (85%) et la journaliste dépeint les chasses aux sorcières comme une « guerre contre les femmes« , qui a « contribué à façonner le monde qui est le nôtre. Si elles n’avaient pas eu lieu, nous vivrions probablement dans des sociétés très différentes ».
L’objectif de ces meurtres de masse était de réprimer les velléités d’émancipation féminine. En s’attaquant physiquement aux femmes indépendantes, qui ne sont pas subordonnées à un homme, aux femmes de savoir (les guérisseuses, notamment, qui connaissaient les pouvoirs des plantes), aux femmes sans enfant et à celles qui aidaient leurs soeurs à ne pas concevoir ou à avorter, ou encore aux vieilles femmes, devenues « inutiles » aux hommes (ayant perdu leur pouvoir de séduction et leur capacité à enfanter). Mais aussi en maintenant, par la menace et la terreur, toutes les autres dans le « droit chemin ».
Le fléau de l’indépendance féminine
Ce qui est passionnant dans cet essai, c’est qu’il montre que si les chasses aux sorcières sont terminées depuis longtemps, l’idéologie qui les sous-tendait est encore largement à l’oeuvre aujourd’hui, au travers des préjugés et stéréotypes affectant les femmes et du système patriarcal.
Ainsi, observe Mona Chollet, le « modèle » de l’épanouissement des femmes passe-t-il encore largement par la constitution d’un couple hétérosexuel et d’une famille, et que celles-ci restent des « intruses » dans le monde du travail (devant se contenter d’emploi à temps partiel, moins bien rémunérées que les hommes etc.).
« Rien, écrit-elle, dans la façon dont la plupart des filles sont éduquées, ne les encourage à croire en leur propre force, en leurs propres ressources, à cultiver et à valoriser l’autonomie ».
Elle explore également la représentation, souvent moqueuse (la « vieille fille à chat ») des femmes célibataires dans les médias ou la pop culture. Et souligne avec justesse que si les femmes autonomes ne sont plus brûlées sur des bûchers, un nombre non négligeable de celles qui se rebellent sont encore victimes de féminicides par conjoint ou ex-conjoint: un tous les 2,5 jours en France, souvent en représailles de leur décision de le quitter.
« Il serait temps, encourage l’autrice, que les femmes -souvent si peu sûres d’elles, de leurs capacités, de la pertinence de ce qu’elles ont à apporter de leur droit à une vie pour elles-mêmes- apprennent à se défendre face à la culpabilisation et à l’intimidation, qu’elles prennent au sérieux leurs aspirations et qu’elles les préservent avec une inflexibilité totale face aux figures d’autorité masculines qui tentent de détourner leur énergie à leur profit ».
Femmes sans enfant et femmes âgées: invisibilisées et stigmatisées
Outre la figure de la femme indépendante, Mona Chollet examine celle de la femme (volontairement) sans enfant. Qui encore aujourd’hui est une exception (4,3% des femmes déclarent ne pas vouloir de descendance) et doit faire souvent face aux critiques. Pire, le regret d’avoir enfanter est le tabou ultime. « On continue à croire dur comme fer que les femmes sont programmées pour désirer être mères », écrit-elle.
Dans le chapitre suivant, elle s’intéresse aux femmes âgées (en gros à partir de 50 ans) et à leur invisibilité dans les représentations culturelles. Citant Carrie Fischer, elle souligne: « les hommes ne vieillissent pas mieux que les femmes, ils ont seulement l’autorisation de vieillir ». Prendre de l’âge, note l’autrice, c’est « perdre son rôle de pourvoyeuse de soins pour un mari ou des enfants, c’est être une insoumise, même malgré soi », c’est réveiller la peur que suscite une femme qui vit pour elle-même.
Elle explore notamment le cas, fréquent, du mari qui quitte sa femme vieillissante pour une plus jeune et s’interroge: et si cet homme ne pouvait aimer que dans une relation inégale? Si les chasses aux sorcières ont particulièrement visé les vieilles femmes, c’est parce que celles-ci avaient acquis de l’expérience et pris une assurance intolérable, explique Mona Chollet.
Citant l’intellectuelle américaine Susan Sontag, qui avait écrit en 1972 un article sur le « double standard » du vieillissement entre les hommes et les femmes, elle rappelle: les femmes « peuvent aspirer à être sages, et pas simplement gentilles, ; à être compétentes, et pas simplement utiles ; à être fortes, et pas simplement gracieuses ; à avoir de l’ambition pour elles-mêmes (…). Elles peuvent se laisser vieillir naturellement et sans honte ».
Une vision patriarcale du savoir et du rapport à la nature
Dans le dernier chapitre, enfin, celui que j’ai trouvé le plus riche et le plus intéressant, Mona Chollet met en cause la vision patriarcale du savoir et du rapport au monde et à la nature qui s’est imposée justement à partir de la Renaissance et notamment via les chasses aux sorcières. Une vision purement rationnelle, calculatrice, utilitariste, dominatrice du monde, s’opposant au règne de l’émotion, de l’intuition, du mystère, de la spiritualité, de la Terre nourricière…
Prenant l’exemple particulier de la médecine, dont justement les femmes (les guérisseuses) ont été écartées lors des chasses aux sorcières, l’autrice note: elle « concentre aujourd’hui encore tous les aspects de la science née à l’époque des chasses aux sorcières: l’esprit de conquête agressif et la haine des femmes ; la croyance dans la toute-puissance de la science et de ceux qui l’exercent, mais aussi dans la séparation du corps et de l’esprit, et dans une rationalité froide, débarrassée de toute émotion ».
Et rappelant que le savoir et la science se sont construits sur des méthodes et codes élaborés par et pour les hommes, elle rapproche ce phénomène du fameux manque de confiance en elles souvent reprochés aux femmes. « Après des siècles où les hommes de science ou de religion, les médecins, les hommes politiques, les philosophes, les écrivains, les artistes, les révolutionnaires, les amuseurs publics ont martelé sur tous les tons la bêtise congénitale et l’incompétence intellectuelle sans remède des femmes, en les justifiant au besoin par les plus folles élucubrations sur les défaillances de leur anatomie, il serait très étonnant que nous ne nous sentions pas légèrement inhibées ».
Mais Mona Chollet montre également comment l’asservissement des femmes s’est mené en parallèle de l’exploitation sans frein de la nature, réduite à une simple pourvoyeuse de ressources pour le développement des activités humaines. Et termine son ouvrage en évoquant l’écoféminisme, ce courant féministe qui veut penser de concert la libération des femmes et la libération de la nature.
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