Difficile de sélectionner les meilleurs extraits de Ralentir ou périr, de l’économiste Timothée Parrique : cet ouvrage est particulièrement riche et passionnant, tout en restant relativement facile d’accès. J’en ai souligné de très nombreux passages ! La thèse à retenir : il est temps de faire ralentir notre économie pour la rendre soutenable. (Psst : tous mes articles « Morceaux choisis » sont à découvrir dans la rubrique Inspirations)
Ralentir ou périr : le problème du dogme de la croissance économique
« La cause première du déraillement écologique n’est pas l’humanité mais bien le capitalisme, l’hégémonie de l’économique sur tout le reste, et la poursuite effrénée de la croissance ». (p.11)
« Le problème n’est pas l’existence de l’économie en soi (toute société a toujours organisé d’une manière ou d’une autre ses activités productives), mais bien les règles que nous lui donnons aujourd’hui ainsi que l’objectif central qui l’anime : la croissance. Que ce soit celle du revenu des individus, du profit des entreprises, ou bien du PIB d’un pays, il semblerait qu’en économie, plus soit toujours synonyme de mieux. » (p.12&13)
« Le défi qui se tient devant nous est celui du moins, du plus léger, du plus lent, du plus petit. C’est le défi de la sobriété, de la frugalité, de la modération, et de la suffisance. Mais il s’agit bien d’un atterrissage, et non d’un crash ; d’un régime, non d’une amputation ; d’un ralentissement, pas d’un arrêt. Nous savons qu’il faut ralentir, et il va maintenant falloir imaginer comment planifier intelligemment cette transition pour qu’elle se fasse, de façon démocratique, dans le souci de la justice sociale et du bien-être. » (p.14)
« La décroissance jusqu’où ? Réponse : vers la “post-croissance”, une économie stationnaire en harmonie avec la nature où les décisions sont prises ensemble et où les richesses sont équitablement partagées afin de pouvoir prospérer sans croissance. » (p.15)
« Si je publie ce livre en libre accès sur le web et qu’un nombre record d’internautes le lisent, puisque personne n’a été payé pour l’écrire, il ne sera pas comptabilisé dans le PIB. Mais si ce livre est commercialisé et connaît des ventes tout aussi record, le livre deviendra alors une richesse aux yeux de la comptabilité nationale. Dans les deux cas, le livre et son nombre de lecteurs sont identiques. Ainsi, aux yeux du PIB, tout ce qui ne donne pas lieu à une transaction monétaire n’a pas de valeur. Prendre soin de ses enfants, cuisiner pour ses proches, organiser une réunion du comité de quartier, toutes ces activités pourtant créatrices de valeur pour la société ne sont pas comptées par le PIB. » (p.28)
« Le PIB fait abstraction de la nature. Son protocole de calcul le spécifie noir sur blanc : “un processus purement naturel, sans intervention ni contrôle humains, ne constitue pas une production au sens économique”. (…) L’arbre n’a de valdur que lorsqu’il est coupé ou vendu, mais sa propre production par la biosphère et les services qu’il rend durant sa vie (fabrication de l’oxygène, capture du carbone, rafraîchissement de l’air, stabilisation des soles, protection de la biodiversté, etc.) ne comptent pas. » (p.30&31)
« Ce qu’on appelle, peut-être un peu vite, la “croissance” est plus proche d’une intensification de l’agitation économique qu’une augmentation de la richesse totale. (…) La création d’Airbnb a élargi la taille de l’économie monétaire en transformant un service qui n’était jusqu’alors pas une marchandise. (…) Même situation dans une économie où l’on prendrait un taxi au lieu de se faire déposer par un ami et où l’on utiliserait une application de rencontre payante au lieu de discuter avec quelqu’un directement. » (p.33)
« Nationaliser un système de santé et plafonner les prix de l’immobilier et de l’énergie fera baisser le PIB, ce qui n’est pas forcément une mauvaise nouvelle, à partir du moment où les indicateurs de santé, de bien-être, et de soutenabilité grandissent. » (p.35)
Et si nous arrêtions de vouloir toujours plus ?
« La croissance économique dans une économie de marché dépend de ces trois éléments : des consommateurs disposés à acheter toujours plus, des entreprises disposées à vendre toujours plus, et un gouvernement qui soutient l’ensemble de ce processus. (…) La croissance est donc un élément structurel du capitalisme d’aujourd’hui, le résultat macroéconomique par défaut d’un système économique où chaque acteur s’efforce inlassablement de toujours gagner plus. » (p.45&46)
« Bien souvent, sans que nous le voulions vraiment, sans même que nous en soyons conscients, nous agissons en accord avec ses principes (du capitalisme – ndlr), d’une façon qui permet la quête infinie du profit et de l’accumulation. » (p.49)
« Combien de choses produisons- et consommons-nous aujourd’hui alors que nous n’en avons pas vraiment besoin ? Nous produisons de la malbouffe et payons des médecins pour traiter l’obésité ; des SUV, des chaudières au fioul, des voyages en avion et des climatiseurs pour s’adapter aux canicules de plus en plus fréquentes. Le PIB est en bonne partie une agitation aveugle, stimulée aussi bien par l’essor des choses essentielles que par l’amoncellement de choses inutiles. » (p.107)
« La logique monétaire du marché simplifie ces relations (sociales – ndlr) pour rendre l’échange plus commode, mais elle fait cela en sacrifiant la sociabilité des interactions économiques. » (p.115)
« Dans des sociétés avec de fortes inégalités, le temps des pauvres a beaucoup moins de valeur que le temps des riches – d’où l’explosion de plateformes comme AlloVoisins, TaskRabbit, et Teepy Job qui permettent aux individus à fort pouvoir d’achat de payer d’autres personnes moins fortunées pour faire leur ménage, garder leurs enfants, et faire la queue à leur place. » (p.117)
« La pauvreté en France n’est pas une question de production (la richesse est déjà là et surabondante), mais simplement d’allocation, c’est à dire de partage. Tenter d’éradiquer la pauvreté en stimulant la croissance du PIB revient à espérer changer la direction d’une voiture en rajoutant de l’essence dans un réservoir déjà plein. » (p.124)
Ralentir ou périr, mais surtout ralentir ET mieux vivre
« Et si la solution au chômage de masse n’était pas une création d’emploi en masse, mais plutôt une réorganisation de la façon dont nous contribuons à l’activité économique ? Ces contributions sont nombreuses et beaucoup d’activités utiles ne sont pas aujourd’hui reconnues comme du travail méritant rémunération. Elever ses enfants, organiser une association sportive, donner des cours de langue bénévolement, écrire un livre d’économie sur la décroissance, et toutes les solidarités informelles du quotidien ; ces activités produisent des utilités (valeurs d’usage) sans pour autant être comptabilisées comme source de valeur d’échange et donc sans être reconnues comme richesses. Au lieu de créer de l’emploi pour créer de l’emploi, commençons par reconnaître certaines formes de travail comme méritant rémunération. » (p.137)
« Une étude ayant suivi 724 Américains depuis les années 1930 et tout au long de leur vie pour mieux comprendre les déterminants du bonheur et de la santé conclut que ce qui compte le plus sont les relations humaines : l’amour, l’amitié, et la famille. Une infirmière australienne en soins palliatifs à catalogué les cinq regrets les plus fréquents chez les mourants : n’avoir pas suivi ses rêves, avoir trop travaillé, n’avoir pas eu le courage d’exprimer ses sentiments, n’avoir pas passé assez de temps avec ses amis, et ne pas s’être donné l’opportunité d’être vraiment heureux. Personne ne regrettera sur son lit de mort de n’avoir pas assez contribué au PIB. » (p.145)
« Alléger l’empreinte écologique de manière démocratique dans un esprit de justice sociale et dans le souci du bien-être. Voilà les quatre éléments clés d’une stratégie de décroissance. » (p.195)
« Avant de crier au sacrifice, réalisons que la plupart des activités les plus importantes pour notre bien-être ont une très faible empreinte écologique, et ne sont pas considérées à proprement parler comme du travail et des marchandises : passer du temps entre amis, se balader dans la nature environnante, lire et faire de la musique, ou encore participer à des débats politiques. Produire moins ferait baisser le temps de travail et viendrait donc libérer du telos pour produire toutes ces choses que le PIB ne mesure pas, et pour profiter de toutes les richesses que l’in a déjà. on pourrait donc “travailler moins pour vivre mieux”. » (p.216)
« Comme un régime qui ciblerait un poids spécifique pour favoriser la santé et le bien-être de la personne, la décroissance est une stratégie qui vise à atteindre une taille économique théorique qui garantit le bien-être et la justice sociale (les planchers sociaux) sans dépasser la capacité de charge des écosystèmes (le plafond écologique). » (p.220)
« Ce que nous voulons, ce ne sont pas des produits et des billets, c’est entrer en “résonance” avec le monde qui nous entoure. Nous voulons faire l’amour, passer du temps en famille et s’amuser entre amis, jouer de la musique et lire des livres, prendre du plaisir à rencontrer ses voisins, créer de nouvelles connaissances, faire l’expérience des joies de la nature, cuisiner des bonnes choses, débattre de politique. Les choses que nous utilisons pour parvenir à ces fins ne sont que des moyens. Les fins, elles, sont sociales. C’est pour cela que nous avons besoin d’une “économie relationnelle”. Moins de biens, plus de liens, comme disent les objecteurs de croissance. » (p.240)
« La décroissance est une nécessité écologique, mais c’est aussi une aubaine sociale et existentielle. Ralentir pour survivre, oui, mais ralentir surtout pour bien vivre, pour exister vraiment. » (p.271)
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